Serge CHAMPEAU: D. Marquand: The end of the West: The once and future Europe

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David Marquand : The End of the West: The Once and Future Europe (Kindle edition, 2012 ; first edition Princeton University Press, 2011).

 

Europhile et britannique, c’est possible !

L’historien David Marquand, auteur du récent The End of the West : The Once and Future Europe, est un Européen convaincu, mais lucide face aux contradictions de l’Union européenne.

On ne trouvera pas vraiment, dans son livre, de recettes politiques concrètes pour sortir l’Union européenne de sa crise. Mais on sort de cette lecture avec des idées plus claires sur le passé, le présent et le futur de l’Union européenne.  Je ne retiens de cette excellente synthèse que deux problèmes fondamentaux :

1) D. Marquand montre de manière très convaincante que l’Union européenne s’est construite dans une atmosphère de méfiance à l’égard de la politique et du débat public. Il ne condamne pas, il constate. A la sortie de la Seconde Guerre mondiale, les pères fondateurs de l’Europe se méfiaient, et on les comprend, de l’État-nation et de la vie politique qui s’y était déroulée et avait débouché sur la guerre. Ils cherchaient à construire des institutions pour échapper à la «  vie politique avec toute son irrationalité brouillonne, vulgaire et bruyante » (63).

Leur projet était, bien entendu, hautement politique. Mais la politique telle qu’ils la concevaient était celle de la table de conférence et des couloirs, pas celle des chambres parlementaires et des meetings électoraux. Cette politique-là leur rappelait trop le fascisme et le nazisme, les foules mobilisées et les cruels démagogues (64).

L’Europe s’est donc construite de manière technocratique (Marquand met bien en évidence l’influence sur les pères fondateurs de la théorie de Saint-Simon, l’apôtre français de la politique administrative et technocratique).

Une telle construction de l’Europe de haut en bas était sans doute nécessaire. Il n’en demeure pas moins qu’elle marque encore trop l’Union européenne, qu’elle est de moins en moins adaptée à la situation nouvelle qui est la nôtre. Il y a eu, bien sûr, des progrès de la démocratisation. La création et montée en puissance du Parlement européen, pour équilibrer les instances bruxelloises, en est par exemple un signe. Mais ce signe en direction de la politique publique « n’est pas très convaincant » (64). On sait que le Parlement européen jouit d’une faible légitimité, et Marquand rappelle fortement que lors du dernier élargissement de l’Union, les peuples n’ont pas été consultés.

Une conséquence de ce caractère non démocratique de la construction européenne est la théorie économiste qui a longtemps régné dans les milieux européens. Marquand la nomme « théorie de la tache d’encre » (106). De même qu’une tache d’encre s’étend lentement mais sûrement sur un buvard, l’Union européenne, par petits pas successifs, d’élargissements en approfondissements, était censée se développer et se renforcer à la fois, dans une « union toujours plus étroite », comme le disait J. Monnet, dont le moteur était la construction du marché unique.

On sait ce qu’il en est aujourd’hui… La fin était politique, mais le moyen était économique, et il a éclipsé la fin. Et la politique, refoulée, fait retour aujourd’hui sous la forme du populisme… Cela d’autant plus, en période de crise, car le succès économique n’est plus là pour susciter le fragile consentement tacite et passif des peuples. La légitimité par le résultat s’effondrant, l’Union européenne est désormais en danger politique…

2) Un corollaire du point précédent est la sous-estimation, dès le début de la construction européenne, de la réalité nationale et ethnique : « tout ce qui était en rapport avec la réalité ethnique était considéré comme archaïque, rétrograde, comme un facteur de division et un danger »  (53). On comprend le choix des fondateurs de l’Europe, qui avaient en tête les terribles conséquences du nationalisme débridé. L’Europe pacifique était pour eux une Europe supranationale et sans frontières (53). Là encore, l’auteur ne juge pas, il constate que ce caractère marque encore l’Union européenne contemporaine.

La conséquence d’une telle sous-estimation des réalités nationales et ethniques apparaît clairement dans l’hésitation, que l’Union européenne n’a pas toujours pas dépassée, entre une structure fédérale et une structure confédérale : l’Union est, pour l’auteur, dans un noman’s land entre les deux (103), et cette situation n’est pas faite pour renforcer sa légitimité politique et son autorité morale.

Dans le contexte nouveau de la mondialisation de l’économie, qui soumet l’Europe à une rude concurrence, les populations découvrent à la fois que l’État national n’est plus capable de les protéger, et que lorsque l’Union européenne est en mesure de le faire, c’est au prix de ce qui leur apparaît comme l’abandon d’une grande partie de la souveraineté nationale (80). On comprend alors que les victimes du changement économique (et elles sont légion) se retournent à la fois contre les élites nationales (la classe politique, les entrepreneurs, les intellectuels), contre les supposées élites europhiles de Bruxelles et Strasbourg et contre les immigrés : «  ils cherchent des boucs émissaires à la fois en haut et en bas de la pyramide sociale (83).

Il y a là une « crise morale, une crise qui touche à l’identité, au sens et aux objectifs » de nos sociétés, un profond sentiment d’impuissance politique des peuples européens.

Résumons-nous : l’Union Européenne « peut-elle surmonter ses contradictions internes – celle entre les élites européennes et leurs peuples, celle entre les promesses de la démocratie et la réalité de la technocratie » ? (22). Peut-elle dépasser les compromis paralysants entre démocratie et technocratie et entre fédération et confédération ? (66).

Ce qui compte, plus que les quelques remèdes qu’avance Marquand (l’élection au suffrage universel du Président du Conseil européen, mesure qui susciterait sans aucun doute une vigoureuse opposition de nombreux États et dont on peut douter qu’elle soit un remède suffisant, et même efficace), c’est le vigoureux diagnostic auquel se livre l’auteur. Il est clair que l’Union européenne

1) ne peut plus se tenir à l’écart de la politique (de ce que l’auteur nomme la « haute politique », pour l’opposer à la politique technocratique) : « l’époque où le projet européen pouvait rester à l’écart de la haute politique est révolue ; une raison de cela est que l’union monétaire, la dernière grande réalisation de l’Europe technocratique, a fait sauter les digues qui séparent la haute politique de la politique de niveau inférieur » (109)

2) et qu’elle ne peut plus rester dans cet état d’hésitation institutionnelle (de nombreux commentateurs soulignent, en ce moment, que l’Union européenne renforce à la fois tous les pouvoirs, ceux du Conseil européen, ceux du Parlement européen, ceux des Parlements nationaux, ceux des peuples via l’initiative populaire prévue par le Traité de Lisbonne, etc. – dans une fuite éperdue de recherche de légitimité, brouillonne et inefficace).

Espérons que le débat politique qui va s’ouvrir, à l’approche des élections européennes, retiendra ce diagnostic et cet appel vigoureux à résoudre nos contradictions.

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