Artículo publicado en la revista « Le Temps » el 25/11/2015.
Michael Marder, philosophe à l’Université du Pays Basque, estime que la seule solution pour arrêter le terrorisme est que l’Occident se désengage complètement du Moyen-Orient
Il ne faut jamais de lasser de répéter que les temps de crise intense appellent à une réflexion tout aussi intense. L’attaque terroriste sur Paris du 13 novembre n’est pas seulement un temps de deuil, c’est aussi l’occasion de penser. Les chances d’une réponse profonde, cependant, ont été malheureusement court-circuitées par le discours martial du président François Hollande selon lequel «nous sommes en guerre», et son ordre d’intensifier les bombardements de Raqqa, la capitale de l’Etat islamique auto-proclamé.
En réagissant de cette manière aux attaques brutales contre des civils français, François Hollande a fait le jeu de l’idéologie odieuse qu’affichent ceux qui ont commis des actes ignobles de vendredi dernier. En effet, il a implicitement reconnu l’Etat islamique en engageant le combat avec lui (ou en intensifiant les actions militaires contre lui). Au lieu d’une inconsistante «guerre contre le terrorisme» menée par les Etats-Unis cette dernière décennie, nous sommes de retour dans la conduite de la guerre en tant que relation entre deux Etats, quand bien même ceux-ci sont, comme l’État islamique, autoproclamés et ne bénéficient pas d’une reconnaissance internationale.
<<Les événements tragiques dans la capitale française sont loin d’être des événements surgis de nulle part.>>
Plutôt que de lancer une nouvelle série d’offensives militaires, je crois que la seule solution à la situation actuelle est le désengagement complet de l’Occident au Moyen-Orient. Les événements tragiques dans la capitale française sont loin d’être des événements surgis de nulle part. Ils constituent l’aboutissement d’une longue histoire du colonialisme; ils sont la conséquence de la satisfaction relativement ininterrompue des intérêts d’une élite d’affaires (notamment préoccupé d’obtenir pétrole à bas prix) au moment de la transition postcoloniale; ils ont à voir avec les tentatives ratées à résoudre le conflit israélo-palestinien en favorisant constamment l’une de ses parties; ils font très fortement écho à «la suppression des dictateurs» en Libye et en Irak, créant, dans le vide de pouvoir qui a suivi, des monstruosités encore pires qui viennent maintenant nous hanter…
Lire aussi: «Après les attentats de Paris, l’heure est venue de changer de stratégie»
L’engagement au Moyen-Orient: un fiasco
Il est donc absolument nécessaire d’admettre, en premier lieu, que les engagements occidentaux au Moyen-Orient ont été un fiasco pendant des décennies. Et, avant la reprise de quelque lien que ce soit, il est également nécessaire de les couper complètement. Le désengagement dont je parle est de deux types: militaire et économique. Il consiste à geler toutes les opérations armées et toutes les transactions commerciales dans la région. Les achats de pétrole et d’antiquités vendues sur le marché noir par des militants de l’EI finance directement leurs activités; le commerce avec des régimes riches en pétrole dans le Moyen-Orient le fait indirectement. Car non seulement les bombardements des populations civiles creusent un sentiment victimaire sur une échelle autrement plus massive que les Parisiens, mais de plus, cette réponse armée est une façon de traiter avec les terroristes sur leur sol et à leurs conditions, ce que précisément ils désirent ardemment.
Lire également: «L’Arabie saoudite, un Daech qui a réussi»
<<L’Occident est, en grande partie, responsable des flux de réfugiés qui arrivent et qui meurent sur les rivages de l’Europe tous les jours, et notre responsabilité face à eux ne peut être refusée.>>
Bien que, à mon avis, les désengagements militaires et économiques sont la conduite politique optimale pour les réalités d’aujourd’hui, ils ne comprennent pas le désengagement éthique. L’Occident est, en grande partie, responsable des flux de réfugiés qui arrivent et qui meurent sur les rivages de l’Europe tous les jours, et notre responsabilité face à eux ne peut être refusée. Les opérations humanitaires bien souvent soutiennent et complètent les bombardements et les interventions armées; en tout cas, elles ne sont que solutions sparadrap à des problèmes à très grave infection. Ce qui est nécessaire, sous la rubrique de l’engagement éthique, c’est l’ouverture et d’offrir l’hospitalité aux personnes que les conflits mettent en péril, et dans lesquels l’Occident ne devrait plus participer. Seule une réponse de ce type – compatible de plus avec les plus admirables valeurs européennes – est à même de perturber la machinerie infernale dans la tête des terroristes.
Michael Marder (michaelmarder.org) est professeur de recherche en philosophie à l’Université du Pays Basque (UPV-EHU), Vitoria-Gasteiz, Espagne. Ses monographies plus récentes comprennent «The Philosopher’s Plant: An Intellectual Herbarium «(2014), «Pyropolitics: When the World Is Ablaze «(2015), et «Dust «(2016) (non traduits en français)